JAPON
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WABI SABI, ODE AU TEMPS QUI PASSE

Wabi Sabi est une notion qui, à elle seule, résume toute la finesse et la poésie de l’âme japonaise.

Profondément ancrée dans la culture du Japon, Wabi Sabi décrit l’émotion, le sentiment de solitude et d’humilité qui nous étreint face aux cycles de la vie et la danse des saisons. Ici-bas tout a un commencement et une fin. Naissance, flamboyance, déclin et mort. Wabi sabi est la célébration de l’entre-deux, cette zone floue entre ce qui est et ce qui, bientôt, ne sera plus.

L’esprit wabi sabi reconnaît la beauté intrinsèque des choses imparfaites qui portent la patine du temps et cultive l’appréciation du moment présent, tel qu’il est. Une terrasse abandonnée, jonchée de feuilles mortes, une paire de chaussures usées oubliées dans un coin, une belle poterie fêlée, la douce nostalgie à l’écoute d’une chanson qui rappelle un moment heureux.

Cette notion est intimement mêlée à l’’impermanence, un concept central du bouddhisme zen. L’impermanence est la reconnaissance que rien ne dure, que le temps coule, comme du sable entre les doigts et qu’à un cycle succédera un autre. Wabi sabi est l’émotion qui nous étreint face à cette réalisation. Elle se rapproche de la nostalgie mais y ajoute un élément en plus, celui du détachement. La nostalgie est liée au passé alors que la notion d’impermanence tout en reconnaissant la loi du temps qui passe, choisit de porter son attention sur l’instant présent, tel qu’il est, authentique et parfait dans son imperfection.

Kyoto, à l’automne.

Dans l’un des jardins de la ville, le maître de thé Sen Rikyu, demande à son disciple de préparer la cérémonie du thé. Le jeune homme prend alors grand soin du jardin afin que celui-ci soit parfait. Chaque brin d’herbe est à sa place, les haies parfaitement taillées, les allées ratissées, le jardin japonais est irréprochable. La cérémonie du thé peut donc avoir lieu. Mais, le disciple secoue une branche d’érable. Alors, quelques feuilles tourbillonnent puis tombent au sol. Lorsque Sen Rikyu, le maître de thé, arrive pour la cérémonie, il contemple le jardin et, satisfait, admire cette parfaite imperfection … wabi sabi est né.

Wabi Sabi est à la fois une philosophie de vie empreinte de sérénité, un art de vivre qui cultive l’humilité et la simplicité et, en fait, par essence même, le coeur de l’âme japonaise.

En poésie, par exemple, wabu sabi s’exprime sous la forme d’un haïku, un court poème de trois versets de 5, 7 et 5 pieds. Il est par essence la capture de l’instant présent, de l’ordinaire saisi en quelques mots afin de restituer toute la poésie de l’émotion offerte aux sens.

La brise fraîche


emplit le vide ciel


de la rumeur du pin

Uejima Onitsura

Dans la chambre

ce froid vif sous mon pieds

le peigne de ma femme morte

Yosa Buson

Wabi Sabi se retrouve aussi dans l’artisanat. Il existe au Japon des potiers passés maîtres dans l’art de réparer les objets cassés ou fêlés, c’est l’art du kintsugi . Au lieu de jeter l’objet endommagé ou de masquer l’imperfection, le potier va au contraire souligner d’or les failles de l’objet cassé le mettant ainsi en valeur avec ses cicatrices. Une façon d’honorer ce qui est imparfait, peut-être, mais riche d’histoire et de vécu.

Maître de cet art, Showzi Tsukamoto, décrit wabu sabi  comme une esthétique selon laquelle le processus de la naissance jusqu’à la décomposition, est quelque chose de beau. « Les choses se détériorent avec le temps et arrivent à leur fin. Dès qu’il y a une faille, vous la recouvrez avec de l’or fin et vous dites : « voyez ma cicatrice, n’est-elle pas belle? Vous savez, quand un samouraï avait une blessure de katana, c’était une source de fierté pour lui, non pas quelque chose à cacher. L’esprit samouraï est au coeur du kintsugi ».

Un jour, raconte-t-il, j’ai eu une cliente qui avait survécu au tsunami, toute sa maison avait été détruite. La seule chose qu’elle avait pu sauver était sa propre vie. Elle était revenue à l’endroit où se trouvait sa maison et a déterré une assiette du sol. L’assiette réparée par le kintsugi était la seule possession qui lui restait de sa vie d’avant. Pour moi, le kintsugi se compare à la paix car les deux commencent par quelque chose de cassé. La paix n’existe pas par elle -même. On blesse et on se blesse et les blessures finissent par guérir et ensuite il y a la paix. Et, comme le kintsugi, quelque chose de neuf et de beau renait. Ton histoire est dans tes blessures. Au lieu de les regarder négativement, le kintsugi te permet de les regarder positivement ».

Wabi Sabi c’est peut-être la tentative des hommes de saisir l’éternité. Une invitation à vivre plus sereinement en cultivant un esprit d’appréciation pour tous les éléments qui composent notre vie. Cette période automnale, wabi sabi par essence, s’y prête merveilleusement bien.

virginie claret