PEUPLES PREMIERS
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MITÁKUYE OYASIN

Pour les peuples premiers, la vie est un cercle sacré, où tout est relié et interdépendant.

« Il y a une énergie de prédateur sur cette planète et elle mange notre âme » disait l’activiste et poète sioux John Trudell. C’est une voix forte que celle des peuples premiers. C’est celle des tribus de l’Amazonie, des aborigènes d’Australie, des inuits, c’est aussi la voix de Greta Thunberg.

Incessamment ils répètent la même chose: la terre n’appartient pas à l’homme, l’homme appartient à la terre. Et ce qu’il fait à la terre, il le fait à lui-même. Pour ces peuples qui, depuis des millénaires, sont dépendants de leur écosystème pour leur survie, c’est l’évidence même: nous sommes liés à la terre par le même cordon ombilical qui lie une mère à son enfant et de sa survie, dépend la nôtre. Ainsi honorer la terre, la protéger et vivre en équilibre avec elle est le fondement même de leur art de vivre.

Tout ce qui vient d’elle est honoré. L’eau, aussi précieuse que la vie, oblige à boire avec parcimonie, à ne pas la souiller. Tuer un animal pour se nourrir doit être fait avec honneur, sans souffrance, en le remerciant de son sacrifice. La cueillette des plantes et des fleurs s’accompagne, chez les amérindiens, de cette belle phrase rituelle : « Merci de me donner ta vie. Un jour, ma vie nourrira la tienne ». Sur un atoll éloigné du Pacifique, un indigène m’a montré un jour comment créer un hameçon. Il a délicatement déterré une plante dont les racines avaient une forme de crochet, a coupé l’une d’elles de façon à ne pas faire périr l’arbuste qu’il a ensuite soigneusement replanté. Puis il a versé du jus de citron sur la racine et l’a fait sécher au soleil jusqu’à ce qu’elle soit dure et solide. Voilà, son hameçon était prêt. Il pouvait aller pêcher. Lorsque les choses sont faites avec honneur, en équilibre avec nos besoins, la terre continuera de pourvoir à tout ce qu’il nous faut.

Est-ce réellement si difficile à accomplir ?

Nous avons oublié notre dépendance à la terre, nous nous sommes habitués à l’abondance. Pire, nous agissons comme des enfants mal élevés. Nous nous émerveillons d’un coucher de soleil sur la plage, mais nous laissons nos mégots dans le sable. Nous cédons à l’attrait de la nouveauté en jetant des objets en parfait état de marche et gaspillons les réserves de la terre.

Alors que les civilisations cherchent à laisser une trace par des monuments grandioses, la devise des peuples premiers est toute autre : « Là où tu passes, ne laisse que l’empreinte de tes pas ». Et dire qu’en une centaine d’années à peine, nos civilisations ont pollué les océans de plastique et décimé les forêts. Dans la ville du Cap, en Afrique du Sud, l’eau est devenue si rare que les habitants sont rationnés depuis 3 ans déjà. Et l’air des métropoles est si pollué que l’espérance de vie dans une ville comme New Delhi est réduite de 8,5 ans selon les dernières estimations. « La Terre-Mère a été violée, ceci ne peut pas durer indéfiniment. Aucune théorie ne peut altérer ce simple fait. Attendez-vous à des représailles. » prédisait John Trudell. L’épidémie du coronavirus est-elle un signe ? La baisse brutale de l’économie et de l’industrie chinoise a fait chuter de façon spectaculaire le nombre d’émissions de CO2 permettant enfin à la terre de respirer !

Pour les peuples indigènes, tout ce qui est vivant a une âme. Parce que tout ce qui est vivant est issu de la terre et que nous partageons un besoin commun en oxygène, le souffle de l’esprit nous traverse tous. Il est donc possible de communiquer avec le royaume minéral, végétal et animal. Les aborigènes d’Australie connaissent les chants sacrés pour demander aux crocodiles de sortir de l’étang afin qu’ils puissent eux aussi s’y baigner et les tribus amérindiennes savent invoquer les éléments, appeler la pluie ou le soleil en cas de besoin.

La spiritualité des peuples premiers rend à la vie toute sa magie. Pour eux, la nature est un guide, une bible à ciel ouvert où tout est message subtil adressé à l’esprit. Croiser un papillon est peut-être une invitation au changement et à la métamorphose. On peut demander à l’ours de nous donner sa force, à l’aigle sa vision, au sanglier, sa combativité. Mais, soulignent les peuples indigènes, pour que l’esprit de la terre intercède en notre faveur, il faut demander avec humilité et recevoir avec gratitude. Alors seulement les portes s’ouvrent, la nature nous parle et la vie prend une autre dimension, plus vaste, à même de nourrir l’âme.

La Terre-Mère, la Pachamama comme on l’appelle en Amérique du Sud, est fertile. Son seul objectif est de produire en abondance. Elle assure notre subsistance et se porte garante de notre équilibre. D’ailleurs, le clapotement des vagues, le bruissement des feuilles dans la forêt sont des sons adaptés à notre fréquence cardiaque. Ils équilibrent notre système nerveux. Que nous le reconnaissions ou non, nous avons besoin d’elle. Coupés de la nature, quelque chose en nous souffre.

« Nous ne sommes pas sioux, conclut John Trudell. Nous ne sommes pas amérindiens, nous sommes une race plus ancienne encore. Nous sommes le peuple, nous sommes les êtres humains, écoutez-nous! ».


virginie claret