FRANCE

sainte sara, arrivée par la mer

IMG_4166.JPG

Chaque année, se tient le pèlerinage des Gens du Voyage aux Saintes-Maries de la Mer, dans le sud de la France. Des milliers de caravanes venues des quatre coins de l’Europe font le voyage pour rendre hommage à Sainte Sara, Patronne des Gitans. De Suisse, une douzaine de familles yéniches ont fait le déplacement.



L’histoire veut que, chassées de Palestine où les premiers chrétiens étaient persécutés, Marie Jacobé, Marie Salomé et leur servante Sara furent exilées à la mer sur un bateau sans rames ni voiles. Portées par des courants favorables, elles se sont miraculeusement échouées sur les côtes de Camargue où elles ont ensuite vécu. Sur leur tombeau, une église fut bâtie et le village des Saintes-Maries de la Mer devint, dès le XIIme siècle, un lieu de pèlerinage particulièrement cher au cœur des Gens du Voyage, qu’on appelle aussi, selon les pays d’où ils viennent, Gitans, Manouches, Yéniches, Roms, Sintés ou Travellers.

« A cette époque, les gitans n’avaient pas le droit d’entrer dans l’ église, ils étaient rassemblés dans la crypte m’explique le Père Dumas, Président du Pèlerinage et Père aumônier des Gens du Voyage. « C’est là qu’ils ont trouvé la statue d’une femme noircie par la suie des bougies, abandonnée dans un coin. Parce qu’elle leur ressemblait, parce qu’elle se trouvait dans une église et parce qu’elle était, comme eux, rejetée et dénigrée, ils l’ont adoptée et en ont fait leur protectrice ». « C’est une Sainte par ferveur populaire d’abord, comme d’autres avant elle, sourit –il, jusqu’à ce que le Pape Jean-Paul II la reconnaisse officiellement dans les années 80 ».

P5220768.jpg

De fait, la dévotion à l’égard de Sainte Sara n’a jamais faibli. Venir aux Saintes, pour Joseph, yéniche de Suisse, « c’est une occasion de se retrouver, de faire la fête ensemble, de connaître des voyageurs d’autres pays. Cela resserre les liens au sein de notre communauté. Mais surtout, nous y allons pour prier Sainte Sara, pour la porter jusqu’à la mer pendant la procession. Elle nous porte chance et nous apporte du bonheur pour toute l’année. Et lorsqu’on ne peut pas y aller, on pense à elle, on sait qu’elle est là-bas, qu’elle attend. »

P5240916.jpeg

C’est du jour au lendemain que les terrains de stationnement autour de la petite ville des Saintes-Maries de la Mer se remplissent de caravanes. Et les veillées s’éternisent au son des guitares ou des enceintes stéréo lancées à plein volume car on n’échappe pas au progrès ! Les enfants jouent, les adultes parlent, assis devant leurs mobile-home, jusqu’au cœur de la nuit.

Le moment fort du Pèlerinage est celui de la procession, lorsque Sara est sortie de la crypte et portée jusqu’à la mer entourée des Gens du Voyage, des fidèles, des pélerins, des arlésiennes et des gardians en costume traditionnel. C’ est un moment de grande ferveur et de grande beauté dans cette Camargue éclaboussée de soleil. Bénie par un Evêque, la Sainte est ensuite immergées dans l’eau et c’est peut-être cela qui ravive sa magie, car la Reine des Gitans, Sara porte une couronne, a quelque chose qui va au-delà de son beau visage et de ses yeux en amande. « C’est une sensation difficile à expliquer, me dit un manouche de France, il faut le vivre, mais lorsqu’on parvient à toucher ses vêtements pendant la procession, on ressent quelque chose, ça rend heureux ». Cette force mystérieuse, Nadia, la ressent aussi. « C’est comme ça, ça ne s’explique pas. Lorsqu’on est venu une fois, c’est comme si elle nous appelait, on ne peut pas s’en empêcher, on revient encore et encore».

Mais Sara attire également ceux qui vivent un peu en marge, ceux qui ont adopté un mode de vie différent, comme Daniel qui a quitté son petit appartement exigu en Vendée il y a deux ans et qui, depuis, parcourt la France dans un camping car avec son chat. La petite statue de la Sainte orne son tableau de bord. « Sainte Sara est devenue un peu ma confidente et faire l’effort de venir ici chaque année, c’est ma façon de la remercier ». Ambra, une jeune italienne qui parcourt le monde en vivant des bijoux qu’elle crée, a aussi fait des Saintes-Maries de la Mer le point fixe de son existence changeante. « C’est l’endroit où je viens me ressourcer, ça me donne tellement d’énergie de prier ici. »

Aussi provençale que gitane, Sainte Sara est vénérée aussi par les gardians qui s’occupent des taureaux et des chevaux dans la campagne camarguaise. « Je considère Sainte Sara comme une protectrice moi aussi, me dit Michel et je vais vous faire une confidence, dit-il, en se penchant vers moi du haut de sa monture, lorsque je ne vais pas bien ou que j’ai un gros souci, je vais la voir et je repars toujours apaisé ».

« La vie de voyageur n’est pas toujours facile, me dit une gitane venue d’Espagne, le pèlerinage c’est aussi nos vacances, lorsqu’on est tous entre nous et qu’on peut faire la fête, loin du rejet, des discriminations et des difficultés de la vie quotidienne ».

Force est de constater qu’il subsiste à leur égard de durs préjugés contre lesquels s’emporte le gardian Michel : « les Gens du Voyage ? Je les considère comme des êtres humains qui sont repoussés aujourd’hui encore parce qu’on les voient automatiquement comme des voleurs. Mais il n’y a pas besoin d’être gitan pour être voleur ! Si on apprend à les connaître ce sont des gens charmants avec un cœur et une foi sans pareils ».

Le Père aumônier Claude Dumas, qui accompagne les Gens du Voyage, admire quant à lui la résilience de ce peuple, qui, en deux mille ans d’histoire, a su garder intactes sa culture, sa langue et ses traditions, malgré toutes les persécutions dont il a fait l’objet au cours des siècles dans tous les pays d’Europe. « ce sont des gens d’une grande générosité, d’une grande humilité et une fois que avez gagné leur confiance, leur loyauté est à toute épreuve ».

Pourtant, chez les yéniches de Suisse, les plaies sont encore vives. La politique de la Confédération qui a eu cours jusqu’en 1973 à leur égard, avec plus de 600 enfants enlevés de force à leurs parents et des femmes stérilisées à leur insu, marque encore toute leur génération, même si, par pudeur, ils refusent en géneral d’en parler. La Suisse recense environ 6000 Voyageurs, dont une partie est devenue sédentaire tandis que d’autres ont gardé un mode de vie semi-nomade, passant environ 9 mois de l’année sur la route dans leur mobile-home, de canton en canton, en Suisse seulement.

Ils sont ferrailleurs, antiquaires, ébenistes, peintres, artisans, réparateurs de machines en tous genres, coiffeuses ou stylistes en onglerie. Souvent nous les cotôyons sans savoir qui ils sont, sans savoir que leur vie devient de plus en plus difficile avec des places de stationnement toujours plus rares. « Nous voudrions que les communes et les cantons prennent leurs responsabilités à notre égard, nous payons ces places, et nos impôts et notre caisse-maladie aussi » me dit Josef Gerzner. Il déplore la méfiance des Présidents de communes « qui nous mettent tous dans le même sac. C’est vrai qu’il y a eu des incidents, mais le plus souvent c’était le fait de Voyageurs venus de l’étranger, qui laissaient les places sales et qui stationnaient là où c’était interdit. La Suisse est notre pays, nous sommes intégrés, nous y vivons depuis des générations. »

En 1986, le Président de la Confédération, Alphons Egli, a présenté des excuses officielles aux Gens du Voyage pour la politique d’acculturation dont ils ont été victimes. Mais peut-être est-il temps aujourd’hui d’accorder un peu plus de place, au propre comme au figuré, à une minorité qui revendique simplement le droit de vivre autrement et qui a su garder, chevillée au corps, une liberté dont, secrètement, nous rêvons peut-être aussi.

virginie claret