VENISE

DERRIÈRE LE MASQUE

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Ils viennent de Suisse, de France ou d’Allemagne. Vêtus de costumes affolants, ils font tourner les têtes dans les rues de Venise au moment du carnaval. Mais sous le masque, le coeur est parfois hésitant.



Une fête, un monument, une expérience, un mystère, c’est un peu tout ça, le carnaval de Venise. On vient des quatre coins du monde pour se montrer dans des costumes resplendissants, investissant les rues de jour et participant, de nuit, aux bals masqués qui ont lieu dans les palais vénitiens.

Tout un monde de raffinement et d’élégance se déploie durant dix jours en février dans les rues et sur les places de la Sérénissime. Venise se prête parfaitement à cette mise en scène, sa beauté d’antan pratiquement inaltérée, ses canaux, ses places, et ses palais, magnifient l’élégance des costumes et rendent l’illusion parfaite. Le visiteur est transporté dans un autre temps, à une époque de faste, de mystère et de séduction.

Revêtir le costume d’époque de la Renaissance et s’affubler d’un masque ne suffit pas à Venise. Pour que la magie opère, il faut donner de l’esprit au costume, habiter son personnage! Car c’est bien d’un rôle qu’il s’agit. Chaque personnage costumé, seul ou en couple, pose, séduit, alterne mimiques et regards charmeurs, bref joue avec son public pour mieux l’emporter dans son univers.

Pour Angelica, qui vient de Münich, le carnaval est une parenthèse enchantée qu’elle s’offre une fois par an. Elle exerce, selon ses propres mots, “un métier de logique”, où elle ne peut pas exprimer toute sa personnalité. A chaque fois qu’elle revêt un costume, elle se transforme. “C’est un numéro d’artiste que je mets en place”, dit-elle en déployant son éventail et en me fixant de ses yeux de velours, “sous le masque je suis libre, je peux flirter, aguicher, jouer, c’est grisant, vraiment”, avoue-t-elle.

Claude et Marie-Claude, originaires de Lyon, sont arrivés avec une dizaine de valises et plusieurs costumes qu’ils ont confectionnés eux-mêmes ce qui a demandé des mois de travail. Il avoue que le carnaval agit sur lui comme une drogue, “ je passe 10 jours en apesanteur, enivré par les regards, les décors, je brille, anonyme, en pleine lumière. C’est un merveilleux paradoxe”.

La majestueuse place Saint Marc , avec son immense esplanade, ses terrasses , ses arcades et sa somptueuse basilique, constitue le Coeur du carnaval. C’est une véritable scène à ciel ouvert et le lieu privilégié pour admirer les masques et les costumes.

C’est là que je rencontre Anna, en fringuante mousquetaire, et sa soeur Elisa, en Shéhérazade des mille et une nuits. Elles sont toutes deux vénitiennes et se livrent de bonne grâce au jeu des questions. “C’est une grande tradition dans ma famille, ma grand-mère, ma mère, et nous deux maintenant, on s’est toujours déguisées! Se montrer dans son costume, oui c’est bien, mais ce n’est pas le moment que je préfère. Ce que j’aime c’est tout le temps passé à le réaliser. D’abord il faut que l’idée du costume se mette en place, puis il faut le fabriquer, c’est toute une affaire! La machine à coudre fonctionne à plein régime pendant des semaines! Et ensuite, c’est vraiment une fête, c’est notre Halloween à nous! “

Leur fraîcheur et leur gaieté contrastent contrastent avec ma rencontre suivate, Elena et Sebastian. Superbe dans son costume de Pompadour, Elena est venue de Suisse et avec son compagnon. Ils se déguisent pour la première fois. Je les croise au café Florian, véritable institution vénitienne où l’on vient pour voir et être vu. L’espresso y coûte 15 euros, mais rien n’égale le plaisir de s’offrir aux regards admiratifs. Ses grandes fenêtres qui donnent sur la place Saint-Marc sont des vitrines qui exposent ses occupants aux regards extérieurs. On s’y rend de préférence le soir, costumé et masqué, pour satisfaire les badauds et les photographes regroupés à l’extérieur.

BALS MASQUÉS

Le couple adore danser et revient d’un bal masqué. Organisées pendant le carnaval dans les différents palais et hôtels prestigieux de Venise, ces soirées costumées aux prix parfois exorbitants (entre 300 et 900 euros) sont orchestrées par un maître de danse qui enseigne les pas du menuet, de la sarabande ou du cotillon. Lors du banquet, des confiseries typiques de Venise sont servies pour l’occasion. Le traditionnel chocolat chaud coule à flots en l’honneur du cacao, ce produit si rare et exotique à l’époque et que seule la noblesse vénitienne pouvait s’offrir.

« J’aime les danses d’époque, la musique baroque, la vie de château. Entrer sur la place en costume me permettait d’exprimer le Casanova en moi, mais je ne m’attendais pas à ce que l’expérience soit aussi forte! confie Sebastian. C’est extrêmement grisant, on se sent

investi d’un immense pouvoir de séduction. Nous ne pouvions littéralement pas faire trois mètres sans que quelqu’un ne nous aborde pour se faire photographier à nos côtés ». Elena renchérit : « Oui, nous sommes entrés naturellement dans le jeu. Nous étions éblouis l’un par l’autre, vraiment, et pour un week-end de la Saint-Valentin, je dois dire que c’était magique, même si porter ce costume a été éprouvant. Je compatis avec les femmes de l’époque ! Le corset et le poids de la robe (la Renaissance aimait le velours et le brocart, des matières lourdes par excellence !) m’obligeaient à mesurer tous mes efforts. Ce sera une véritable libération d’enlever le costume à la fin de la journée! ». Pourtant elle garde de la journée un sentiment mitigé. “Dans un tel environnement, une dynamique différente se met en place au sein du couple et s’exposer ainsi c’est aussi se mettre en danger. Chacun cherche à séduire ou se laisse séduire, et cela provoque inévitablement des frictions. Nous nous sommes beaucoup disputés. Entrer sur la scène du carnaval de Venise, c’est jouer avec le feu. Je n’ai pas aimé ce que cela a éveillé en nous et je ne suis pas sûre de vouloir renouveler l’expérience ».

Si le masque permet l’anonymat et la liberté, ne cache-t-il pas également les outrages du temps et les incertitudes du coeur? Combien, sous l’anonymat d’un masque, viennent ici s’offrir une seconde jeunesse ? Dieu seul sait les pensées qui flotteront sur la lagune lorsque se lèvera le jour. Venise ne les trahira pas, La Sérénissime aime le secret.

virginie claret