ÉGYPTE

L’ÉGYPTE DÉSERTÉE PAR LES VOYAGEURS

IMG_6469.jpeg

Privée de touristes, l’économie du pays des pharaons souffre depuis plus d’un an. Au Caire, à Louxor et dans le reste de l’Egypte, commerces et habitants attendent le retour des voyageurs. Devenus rares avec la pandémie, ces derniers jouissent de conditions exceptionnelles dans un pays qui vit sous un régime militaire depuis sept ans.


 

IMG_6063.jpeg

Au départ de Louxor, à 600km du Caire, les bateaux de croisière sont tous à quai. Un seul de ces splendides vaisseau de 4 étages se prépare à remonter le fleuve pour la visite des sites antiques. A son bord, non pas plusieurs centaines mais une quinzaine de touristes seulement. L’accueil est impeccable. Le personnel masqué accueille les voyageurs à bord, distribue du gel hydraulique et les guident vers les cabines. Tout est pensé en fonction des impératifs sanitaires. Des plats préparés sous filtre plastique remplacent les buffets, les tables sont espacées et le personnel maintient avec adresse les distances sociales. Tout est mis en place pour rassurer et raviver un secteur en plein effondrement. Depuis février 2020 le tourisme, pilier de l’économie égyptienne est à l’agonie.

Ce pays ne compte pas moins de sept sites antiques inscrits au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Tous alignés le long du Nil, ils font d’une croisière le moyen idéal pour les visiter.

La ville musée de Louxor, avec son obélisque, ses temples et ses statues colossales accueille généralement plus de 4 millions de visiteurs par an.  En ce mois de décembre 2020, elle est déserte. Le bazar est vide, toutes les échoppes sont fermées. « Cela fait des mois que nous n’avons plus vu personne ici » me confie Mohammed qui tient un magasin d’antiquités. « Vous vous imaginez ? Nous vivons tous presque exclusivement du tourisme ici et depuis 1 an personne ne vient. Grâce à votre arrivée, je pourrai faire vivre toute ma famille pendant un mois ».

Le malheur des uns, le bonheur des autres..Les rares visiteurs jouissent de conditions exceptionnelles pour visiter les temples millénaires alignés le long du Nil. On déambule seul dans l’extraordinaire forêt de colonnes du temple de Karnak, le plus grand temple du pays dédié au dieu Osiris, qui ne résonne que du chant des oiseaux. Un vent frais chargé de senteurs danse entre les colonnades et le lieux est empreint d’une profonde sérénité.

 

IMG_6430.jpeg

Au fil des jours en remontant le Nil, on peut contempler les statues colossales d’Abou Simbel tout au sud du pays, admirer la géométrie rigoureuse de Louxor alignée sur la course du soleil et observer, en toute quiétude, la finesse des hiéroglyphes et des bas-reliefs du temple d’Isis, à Philae, de celui d’Horus, à Edfou, ou encore découvrir les tombes de la splendide Vallée des rois dans un silence quasi religieux.




Le gigantisme, le mystère et le mysticisme qui caractérise les temples antiques d’Egypte trouvent leur aboutissement final avec les pyramides de Gizeh, au Caire. Ces trois géantes constructions funéraires géantes dont l’âge exact, la fonction et la manière même dont elles ont été construites reste en grande partie inconnus. Tout comme la statue de ce sphinx énigmatique et monumental placé devant les pyramides qui laisse une profonde impression. 

 

IMG_6678.jpeg

La vie fleurit au bord du Nil, sur cette étroite bande fertile avant le désert. Les bœufs tirent les charrues dans les champs, les ânes lourdement chargés trottent sur les routes de terre battue. Dans la campagne, les scènes pittoresques charment l’œil du voyageur. Elles attestent pourtant d’une grande pauvreté. Celle-là même qui a poussé le peuple égyptien à faire entendre sa voix en 2011 lors du printemps arabe.

Augmentation constante des prix, salaires de misère, chômage galopant, manque de logement et de protection sociale, corruption et abus de pouvoirs au sein des autorités… le tout sur fond de répression et de censure: les causes des manifestations sur la place Tahrir ne manquaient pas. Mais la chute du président Hosni Moubarak, en place de 1981 à 2011, n’a pas eu l’effet escompté. Le chef de file des frères musulmans, Mohamed Morsi, premier président démocratiquement élu d’Egypte et premier civil à diriger le pays, a été renversé par l’armée en 2013 avant de mourir en prison six ans plus tard. Depuis 2014, c’est le général Abdel Fattah al-Sissi et ses soldats qui commandent.

 

Egyptiens positifs

Depuis son accession au pouvoir, les médias sont muselés, l’opposition est réprimée et les violations aux droits de l’homme, comme les arrestations arbitraires et la tortures sont régulièrement dénoncées par Amnesty International. Bien que les conditions de vie n’aient pas fondamentalement changées, les Egyptiens semblent apprécier le sentiment général de sécurité et de stabilité qui prévaut dans le pays après ces années de remous. L’espoir que le changement est en marche et que la situation pourrait s’améliorer leur fait porter sur l’avenir un regard plutôt positif.

IMG_5723.jpeg

La société reste très conservatrice. Les femmes sont toujours sous le joug de leur famille ou de leur mari et n’ont pu prendre en main leur destinée. Les traditions ne sont plus en adéquation avec l’évolution des mentalités ni avec celle de l’économie. L’obligation de payer une dot pour se marier pèse, par exemple, lourdement sur le jeune chamelier Mohammed.

Celui-ci le cœur en peine. Celle qu’il aime a dû en épouser un autre. Le père de la jeune fille a cessé d’attendre qu’il réunisse l’argent de la dot. «D’abord il y a eu la révolution, tous les touristes sont partis et maintenant il y a le virus. Il n’y a pratiquement plus de visiteurs autour des pyramides depuis un an. Sans argent, je ne peux pas nourrir mes bêtes. Un chameau vous savez, ça mange beaucoup. J’ai déjà perdu deux bêtes et je ne suis pas le seul. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir survivre.»

Pour les touristes, l’omniprésence de la police procure un sentiment de sécurité. Celle-ci précède, sous forme de convoi militaire, chaque trajet de notre mini-bus. Nous sommes régulièrement arrêtés par des check points militaires où nos passeports et les plaques de notre véhicule sont dûment vérifiées. 

Retenus par la police

Les Egyptiens n’échappent pas à ces contrôles. S’aventurer en bus pour une escapade vers les stations balnéaires de la mer rouge oblige à traverser une multitude de check points. Là, les passagers sont priés de descendre, les bagages sont déchargés et ouverts pour inspection. Et gare à celui dont les papiers d’identité éveillent les soupçons! Nous ne sommes pas tous arrivés à destination. Sur le chemin, deux hommes ont été retenus par les forces de l’ordre.

 

Notre bus arrive au petit matin dans la petite ville de Dahab, au bord du golfe d’Aqaba. Célèbre pour ses spots de plongée et ses mœurs plus libres, l’atmosphère est joyeuse et détendue. Sans touristes, le pays est revenu aux mains de ses habitants. Les Israéliens, grands habitués de cette petite ville proche de leur frontière, sont confinés. Ce sont donc des familles égyptiennes qui déambulent dans les rues en fin de semaine pour se gorger de soleil et profiter de de la mer, de la plongée, et des balades en chameau. 

IMG_7858.jpeg

«Tu as peur du virus?», demande un vendeur «Ne sais-tu pas que Dahab signifie ‘or’ en arabe? C’est l’or du soleil, il est tellement fort ici qu’il brûle tout, covid compris! Tu n’as rien à craindre.» L’insouciance, comme le coronavirus, est contagieuse. Ici, les égyptiennes peuvent délaisser le Hidjab et montrer leur chevelure si elles le désirent. On oublie ses soucis et on se laisse vivre, à l’instar de ces trois ingénieurs rencontrés dans un café. Les jeunes diplômés, future élite du pays, peinent à trouver un travail et quand ils y parviennent, le salaire est si bas que cela pousse nombre d’entre eux à l’exil. «Nous  travaillons en Arabie saoudite, on n’a pas le choix. Mais les conditions de travail sont vraiment difficiles là-bas et surtout, le plus dur, c’est l’exil forcé pendant des mois avant que nous puissions revenir pour quelques jours de vacances. Dahab, c’est notre paradis. On oublie tout ici.»

IMG_8222.jpeg

Dans la même région, à quelques heures de voiture, culmine le Mont Sinaï à 2300 mètres d’altitude. Il est possible de gravir la montagne sainte où Moïse reçut les tables de la loi. Arrivés aux alentours de minuit devant le monastère Sainte Catherine au pied de la montagne, la montée se fait de nuit accompagnée d’un bédouin, sous la lumière des étoiles. La montée est rude et le froid glacial. Mais une fois au sommet, le lever du soleil sur le désert fait tout oublier. Une fois de plus, nous sommes pratiquement seuls à jouir du spectacle.

 

 

 

 

 

                                                                                              Virginie Claret

 

virginie claret