BHOUTAN

LE ROYAUME DU CIEL

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Un peu moins grand que la Suisse, le Bhoutan est enclavé entre l’Inde et la Chine, dans l’est de l’Himalaya. Un pays qui tient à conserver ses traditions, sa culture et son environnement et qui s’est doté pour cela d’un indice original: le bonheur national brut. Les touristes sont les bienvenus sous certaines conditions…



Ils sont tous alignés devant le dzhong, les hauts dignitaires dans leurs vêtements d’apparat en attente du roi. Celui-ci sort enfin, et en toute simplicité, salue les différentes personnes présentes, des habitants les plus humbles aux quelques occidentaux qui, par chance, se trouvent là. Il me voit, hésite, puis, gentiment, s’enquiert de ma présence. “Est-ce que j’aime le Bhoutan? Est-ce que mon séjour se passe bien ? Il apprécie manifestement le fait que je porte la traditionnelle Kira en son honneur et par respect pour la culture de son pays, comme on me l’a recommandé. Cette scène, qui pourrait paraître surréaliste n’est pas si inhabituelle au Bhoutan. Le roi aime ses sujets et se mêle facilement à la foule lors des manifestations publiques. Il saisit toujours l’occasion de s’enquérir du bonheur de ses citoyens, comme de celui des visiteurs.

Le collier de cette jeune femme est remarquable et atteste d’un haut statut social dû à la taille des pièces d’ambre ainsi qu’aux motifs sur les Dzi, des perles auxquelles on attribue des origines divines et un grand pouvoir de protection spirituelle.

Il est venu, bien avant l’aube comme tous les bhoutanais, pour apercevoir et toucher le tangka géant de Guru Rinpoche, une tapisserie vieille de 10 siècles, qui est accrochée à la façade du monastère lors de l’annuel Sechu festival. On dit que pour celui qui s’y est préparé, la seule vision du Guru a le pouvoir de libérer l’âme du cycle sans fin des réincarnations. Comme elle ne supporte pas l’éclat du soleil, c’est au milieu de la nuit que les bhoutanais convergent en une lente procession jusqu’au dzhong afin de l’apercevoir avant que les rayons du soleil ne l’atteignent et qu’elle ne soit décrochée pour disparaître à nouveau dans quelque endroit consacré du monastère, un trésor parmi tant d’autres.

En effet, quelle richesse que l’intérieur de ces monastères dont la plupart datent du 8me siècle. L’iconographie bouddhiste tantrique particulière au pays est colorée, intense et se décline en peintures murales extraordinaires, patinées par les siècles et fidèlement entretenues, ainsi que de grandes statues de divinités parées de tissus précieux et de bijoux flamboyants.



Je me réjouis, ce matin là, de ne pas avoir à marcher plusieurs heures pour admirer ces merveilles, comme c’est souvent le cas dans ce pays où les monastères sont en général situés dans la haute solitude des montagnes. Comme le nid du Tigre, le plus célèbre d’entre eux, perché à 3’200m.

L'isolation fait partie de toute tradition monastique mais au Bhoutan elle est aussi liée à la notion de mérite chère à la spiritualité bouddhiste. L’idée que fournir un certain effort pour atteindre un lieu saint permet de dissoudre son mauvais karma . Il est d’ailleurs rappelé sur un panneau du sentier de “marcher en méditant sur le fait que l’on se rapproche du paradis et de penser, lorsqu’on transpire, aux actions coupables et non vertueuses dont on se débarrasse”.

Si les bhoutanais se rendent volontiers dans les monastères pour recevoir la bénédiction de puissants Rinpoché, ce sont les astrologues les plus consultés. Ils vous révèleront tout de votre vie passée et de votre vie future ainsi que les dates favorables a toute entreprise, la couleur qui vous est la plus propice, et les obstacles qui jalonneront votre destinée.

Curieuse, je décide de les consulter. Ap Dorji Gyeltshen déplie soigneusement une imposante pile de parchemins et procède à de longues calculations basées sur ma date de naissance. Selon la cosmologie bouddhiste, je pourrais, dans une vie antérieure, avoir été un animal ou revenir des enfers. Par chance ce n’est pas mon cas. Quant est-il du futur, peut-on changer le cours de choses? Il me regarde avec bienveillance: “Ce que tu as fait dans le passé définit les circonstances de ta vie actuelle et ce que tu fais dans cette vie va déterminer les conditions de la suivante. Pour atteindre sa cible, un archer doit tenir compte des conditions du vent, de la qualité de la flèche et de la précision du tir. le futur est variable. Rien n’est absolu. Tout dépend de toi.”

Un paisible village bhoutanais, parfaitement semblable à ce qu’il était 10 siècles auparavant.

Si le nirvana reste une destination lointaine, les générations successives de rois ont à coeur d’en faciliter le parcours. Dans les années 70, alors que les pays voisins se focalisaient principalement sur le développement économique, le roi du Bhoutan, Jigme Singye Wangchuk décida de promouvoir la notion innovante du Bonheur National Brut, considérant que le succès d’un pays ne pouvait se mesurer qu’au travers du bonheur de ses citoyens.

le Bonheur au Bhoutan se décline en une série de mesures visant non seulement la croissance économique, mais, à parts égales, la conservation et le développement de la culture, la sauvegarde de l’environnement et une bonne gouvernance responsable.

Ainsi le pays aujourd’hui reste fortement ancré dans un mode de vie traditionnel, 80% de la population vivant toujours de l’agriculture. Le port du costume national par exemple, l’élégant khô aux larges manches pour les hommes, et la Kira pour les femmes, est obligatoire en public. Dans le domaine de la culture, la mesure la plus récente fut de bannir des ondes bhoutanaises une chaine télévisée coréenne en raison d’un sitcom pour adolescents jugé contraire aux valeurs bouddhistes de paix, de tolérance, et de compassion qui orientent la politique du pays. Dans la même optique, la vente de cigarettes est interdite, le gouvernement jugeant que fumer a des conséquences “sanitaires et spirituelles néfastes” contraires aux vertus bouddhistes.

Petite fille vêtue de la traditionnelle Kira aux larges manches et aux motifs colorés.

Le respect pour la faune et la flore, chers au bouddhisme interdit également de tuer un animal dans le royaume: la viande est importée. L’archerie, immensement populaire dans le pays, reste excusivement un sport. Quant aux forêts, leur préservation est inscrit dans la constitution qui stipule qu'elles doivent couvrir au minimum 60% du territoire.

Je rencontre le ministre de l’agriculture et des forêts, Lyonpo Yeshey Dorji, confortablement installé dans le lounge d’un bel hôtel de la capital en compagnie d’un groupe d’occidentaux qui espèrent pouvoir gravir les nombreux sommets à plus de 7000m, toujours inviolés. Le ministre est un homme imposant, éduqué dans les meilleures universités anglaises qui regorge d’anecdotes amusantes sur les personnalités politiques mondiales. Mais il est intraitable au sujet de l’alpinisme. “Le coût d’une politique d’ouverture excèderait les bénéfices. Cela irriterait les divinités et menacerait la faune et la flore himalayenne”. L’équipe d’athlètes repart sans avoir rien obtenu. L’exemple du Népal et les conséquences écologiques désastreuses liées au commerce de L’Everest a forcément joué un rôle dans cette décision.

Force est de contater la volonté affichée du gouvernement de promouvoir le pays comme une destination exclusive afin de ne menacer ni son héritage culturel farouchement préservé, ni son environnement naturel. Impact faible , rendement maximum, tel est la devise: le tourisme au Bhoutan est géré avec la plus grande précaution.

En filigrane de cette politique s’inscrivent des interrogations fondamentales, constamment au coeur de tout débat politique. Comment faire face aux défis de la globalisation? Comment empêcher la dissolution culturelle sans fermer ses frontières?

Tshewang Wandrup, l'acteur principal du film bhoutanais “voyageurs et magiciens”.

Le beau film “Voyageurs et Magiciens”, une fable qui met en garde contre les mirages de l’occident, reflète cette problématique. Entièrement produit et filmé au Bhoutan en 2003, il a reçu les éloges de la critique. L’occasion pour moi de demander a son acteur principal, Tshewang Dendup, que je rencontre par hasard dans les rues de Thimpu la capitale, quel est selon lui, le plus grand danger qui guette le Bhoutan? “La convoitise, le mercantilisme, le toujours-plus et le manque de discipline. L’argent est une énergie difficile à maîtriser” soupire-t-il. Plus grand, plus beau, plus puissant, un peu à l’image de la toute nouvelle statue géante de Bouddha qui, splendide, garde l’entrée de la vallée du haut de ses 55m de haut.

“ Timphu est en train de changer, on construit toujours plus, dans dix ans, ce sera bien différent » prédit-il. Il est vrai qu’aujourd’hui, la capitale n’est qu’une grosse bourgade de 10’000 habitants dont le charme réside précisément dans son authenticité; ses petites maisons décorées de façon traditionnelle, pas assez de circulation pour s’embarrasser de feux rouges ou de panneaux de signalisation, des petites échoppes familiales pour acheter le nécessaire et des bureaux administratifs sous forme de petites cabanes en rondin joliment peintes de couleurs vives.

Alors, à quoi aspirent les bhoutanais?

Je pose la question à Sonam Thinley, responsable des relations publiques pour une grande chaîne hôtelière. Il est lui aussi bien conscient des dangers d'une politique d'ouverture débridée envers l'occident. “Nous vivons dans ce petit pays avec le sentiment parfois qu'il est un peu artificiel. Nous vivons dans un sanctuaire. Et je suis frustré parfois, J'aimerais avoir plus de choix. Mais nous avons aussi la responsabilité de maintenir ce sanctuaire, car si nous ne le faisons pas, il va se dissoudre tellement rapidement et il disparaitra pour toujours.”..








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