AMÉRIQUE DU NORD
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LES GARDIENS DE LA TERRE

Au cœur de l’Amérique du nord, les indiens hopis maintiennent vivantes leurs traditions ancestrales et assurent l’équilibre du monde par des rites élaborés.

Elle semblait m’appeler derrière la vitrine cette petite figurine en bois. Ebouriffée de plumes, peinte de couleurs vives et vêtue d’une tunique à franges, on aurait dit qu’elle dansait sur son socle en bois. L’attraction était si forte que je l’ai achetée immédiatement. Le vendeur de ce magasin dédié aux arts amérindiens ne savait pas grand -chose d’elle, seulement que c’était une kachina qui représentait l’une des nombreuses déités de la nation Hopi. 

Elle devint immédiatement notre mascotte et prit sa place sur le tableau de bord de notre toyota, alors que nous prenions la route en direction de l’ouest américain, plus précisément cette vaste région désertique qui englobe en partie l’Arizona, l’Utah, le Colorado et le Nouveau-Mexique. 

Comme à son habitude, mon compagnon de route prenait des chemins de traverse et nous campions dans de vastes paysages de roche rouge et de canyons traversés parfois de rivières. A force de suivre des pistes, nous finîmes forcément par nous perdre et c’est ainsi qu’un jour à l’aube, nous sommes arrivés dans un petit village composé de maisons de bois et de terre cuite entouré de l’immensité du désert. Sans le savoir, nous étions arrivés au coeur de la réserve hopi.  

Un homme nous accueillit et s’enquit aussitôt de notre raison d’être là. Il se trouvait que nous étions, par le plus grand des hasards, arrivés à l’aube d’une cérémonie sacrée, fermée aux étrangers. Après une courte discussion avec les ainés, à laquelle nous ne fûmes pas conviés, il fut décidé que le hasard n’existait pas, que les esprits nous avaient guidés jusqu’ici et que notre présence devait donc être acceptée. 

 Notre guide nous expliqua alors que ce jour-là les kachinas, les divinités de toute la création, descendaient sur terre pour purifier et bénir leur peuple et la terre entière. En ce moment même, les hommes choisis pour incarner les dieux étaient rassemblés dans la kiva, une salle souterraine à laquelle on accédait par une sorte de cheminée en descendant une échelle. Là, dans l’obscurité de la terre, avait lieu la transmission spirituelle, lors de laquelle les hommes se transformaient en dieux. Rassemblés sur la plaza de terre battue, nous attendions qu’ils arrivent. 

Les kachinas émergèrent un à un de la terre. C’était des hommes mais ils étaient méconnaissables! Entièrement costumés, revêtus d’imposantes coiffes en bois ou en plumes, de masques parfois. Leurs corps étaient peints ou recouverts de tuniques élaborée, parfois de peaux, selon l’esprit qu’ils incarnaient. Il y a dans la spiritualité hopi, des centaines de kachinas. Esprits du feu, des étoiles, de l’harmonie, de la pluie, du serpent, du maïs, certains bienfaisants, d’autres malfaisants, tous utiles. Ceux qui arrivaient ce jour-là étaient ceux dont les hopis avait besoin pour l’année à venir. Leur arrivée fut accueillie par un murmure. Ils investirent la place un à un. Chacun avait sa propre personnalité. Certains, éblouissants, hiératiques, avançaient sans trop nous prêter attention, un autre pourchassait les enfants en faisant des pitreries, certains dansaient. L’un d’eux, d’aspect effrayant, s’immobilisait soudain devant telle ou telle personne et semblait engager avec elle une sorte de dialogue secret. Ils interagissaient avec nous chacun à leur façon, d’un geste, d’un son ou d’un regard. Peu à peu il me sembla que nous étions emportés tous ensemble dans une sorte de danse tournoyante qui nous propulsait dans un autre espace-temps. Tout semblait irréel, comme si je rêvais.

J’apprendrais plus tard que les hopis occupent une place singulière parmi les tribus amérindiennes. Ils sont considérés comme les gardiens de la terre, dépositaires de savoirs anciens sur l’origine de la création et de prophéties concernant le futur. On leur attribue une sagesse et des connaissances spirituelles très avancées. Ils sont l’un des quatre peuples chargés de maintenir l’équilibre du monde, une tâche qui, selon leurs mythes, leur a été assignée au tout début de la création. 

Mon ami et moi nous sommes attachés à notre kachina, souvenir d’une expérience extraordinaire. Elle faisait dorénavant partie de notre vie, nous accompagnant partout où nous allions. Voyager avec un objet aussi délicat n’est pas chose aisée. Il arrivait régulièrement qu’il perde une plume ou qu’il se décolle de son socle et je le réparais soigneusement à chaque fois. Un jour, alors que sa couronne de plumes s’était à nouveau endommagée, je pris plus de temps que d’habitude à le réparer. Les semaines passaient et il restait dans sa boîte. C’est alors que je fis un rêve : dans celui-ci la kachina m’apparut. Elle dansait au milieu d’une corbeille emplie de maïs, s’immobilisa, me fit face et me dit: « fais attention. Si tu ne prends pas soin de moi, je te quitterai ».    

virginie claret